Christine Boiry à la Toupie

un texte de Fernand Cambon.
Quoi de plus simple en son principe que la peinture de Christine Boiry ?
Des bandes de couleurs droites et parallèles qui se distribuent dans la largeur du tableau.
Qu’elles puissent être dites « verticales » ou « horizontales » n’est plus ensuite que la conséquence
d’un choix d’accrochage, souvent dicté à la sensibilité de l’artiste par la note dominante.
Pas de formes donc, que ces dernières soient postulées figuratives ou abstraites.
En toute rigueur, chaque bande pourrait tendre, dans sa dimension la plus longue,
vers l’infini, arrêtée, suspendue par la seule butée du bord du tableau, qu’on pourrait en l’occurrence
qualifier de contingent, d’arbitraire. Autrement dit, s’il y a composition, celle-ci se joue dans une seule dimension,
qui tiendra au nombre, à la largeur relative, à la répartition des différentes bandes.
Ces dernières années, Christine Boiry faisait alterner ainsi diverses couleurs et nuances de couleurs.
Pour la présente exposition à La Toupie, elle a opté, majoritairement, pour le monochrome.
Nouvelle étape sur le chemin de la simplification, qui ne va pas toutefois jusqu’au monochrome absolu,
lequel a été fréquemment osé dans la peinture moderne et contemporaine.
On voit en tout cas que l’art de Christine Boiry résulte en son actualité, si je puis dire,
du croisement de deux simplicités assumées : l’une qui tient à une dimension spatiale une, l’autre qui tient au choix d’un pigment unique.
Dès lors, bien sûr, ne restent plus à sa disposition que des choix de formats et des choix de tonalités :
bandes plus ou moins larges, plus ou moins claires, lumineuses ou sombres, dont il lui appartient de régler l’alternance,
au gré de sa fantaisie, de son goût, de ses visées d’harmonies et de contrepoints.
Nous séjournons ici au royaume de la pure différence, différence minimale qui joue au sein de l’un.
Il est en conséquence naturel que viennent à sa bouche et à celles des visiteurs
des mots tels que rythme et scansion, seuls propres à qualifier un art qui se déploie pour l’essentiel
en une dimension linéaire, tel une écriture prosodique ou une musique.
La superposition peut renvoyer encore et à sa manière au registre musical, faisant signe cette fois vers l’harmonie, à l’exclusion de toute polyphonie.

Mais les options actuelles de Christine Boiry sont encore plus simples que je ne l’écris ici,
puisque, au moins pour le rez-de-chaussée de la galerie, non seulement chaque tableau,
mais l’ensemble de la plupart des tableaux a été peint dans une seule couleur.
Dès lors, il est requis de l’œil qu’il fasse droit à cette unité plus grande, qu’il tente d’en repérer les structures
et les lois, les découpages et alternances propres. Je veux dire que le jeu des variations
et des différences doit s’étendre à tout le dispositif pictural pris dans sa globalité.
Chacun pourra remarquer qu’à peu près chaque tableau est strié à une hauteur
qui n’est jamais strictement médiane par une raie blanche. Christine Boiry explique
que cette strie représente pour elle du non-peint ; elle doit être conçue comme une extériorité
qui vient s’immiscer au cœur du tableau, qui vient donc couper l’un en deux.
Dès lors, il est loisible d’étendre ce principe à l’ensemble entier de l’espace d’exposition,
de voir partout des blancs, des espaces, des subdivisions, qui, tout à la fois, séparent les tableaux
les uns des autres, mais aussi bien les clivent de l’intérieur, rendant ainsi
tous les découpages relatifs, et introduisant un rythme variable dans les silences,
dans l’élément de scansion lui-même. C’est un peu comme si un principe d’individuation se mettait à flotter de toutes parts sans s’abolir.
Du reste, après coup, Chritine Boiry a inséré quelques tableaux qui tendent eux-mêmes
vers une couleur de mur, exhibant tel un souvenir discret de la teinte dominante un ou deux fins et tremblés traits de rouge.
Si l’on descend l’escalier pour gagner le sous-sol, on passera de la couleur fondamentale
rouge à cette autre fondamentale qu’est le jaune, cette fois accrochée « à l’horizontale » ;
c’est-à-dire que les bandes s’y préentent de manière verticale.
La grande toile du fond est ici unique en son genre et plurielle. Son ton dominant est noir ;
mais d’autres couleurs interviennent dans sa composition, et de délicates striures horizontales
viennent interférer avec les bandes verticales, complexifiant la structure, la faisant hésiter et vibrer.
D’autres jeux de couleurs évoquent des surimpositions et des chevauchements,
des effacements qui persisteraient, sur le mode du palimpseste.
J’avais employé un peu plus haut le mot de « croisement », et c’est peut-être ce principe
qui est ici mise en acte, selon une combinatoire subtile.
Quant aux petits formats à dominante noire qui, en écho, flanquent sur le mur de gauche ce grand tableau,
ils apparaîtraient comme une synthèse de l’exposition entière : rayures horizontales au milieu
d’un ensemble majoritaire de bandes verticalement disposées ; menus « rappels » dispersés des couleurs fondamentales rouge et jaune.
Ici, des simplicités multiples se condensent et se concentrent en complexité ultime…
Fernand Cambon.
Exposition de juin 2007.

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